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« Dompter les vagues », de Vendela Vida : éveil adolescent dans San Francisco

« Dompter les vagues » (We Run the Tides), de Vendela Vida, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marguerite Capelle, Albin Michel, « Terres d’Amérique », 286 p., 21,90 €, numérique 15 €.
C’est le temps de l’adolescence, des amitiés explosives et des bêtises qu’on imagine sans conséquences. A San Francisco, Eulabee, la narratrice, et ses amies, Julia, Faith et Maria Fabiola, sont les reines de leur monde. « Nous avons 13 ans, bientôt 14, et les rues de Sea Cliff nous appartiennent », écrit Vendela Vida en ouverture de Dompter les vagues, son cinquième roman. Ces quatre élèves d’un collège privé de filles connaissent par cœur ce quartier huppé qui jouit d’une vue imprenable sur le Golden Gate. Nous sommes en 1985 et les enfants des géants de la tech n’ont pas encore investi les lieux.
Les jeunes filles expérimentent les bouleversements physiques et hormonaux de ce moment de transition. Toutes, mais surtout Maria Fabiola, la plus riche de la bande, brusquement « passée du statut de jeune fille ordinaire à celui de beauté surnaturelle ». Cette transformation lui vaut non seulement d’attirer tous les regards, mais aussi d’asseoir son leadership sur le groupe. Aussi, lorsqu’elle affirme qu’un homme qui les a interpellées depuis sa voiture « se tripotait », les trois autres doivent naturellement se ranger à son avis. Voilà Eulabee, qui maintient devant la police qu’elle n’a rien vu, soudain exclue du clan. Jusqu’à ce que l’étrange disparition de Maria Fabiola, quelques mois plus tard, ne l’y ramène. Et si elle était la mieux placée pour comprendre ce qui s’est passé ?
Dans ce formidable roman d’adolescence, nourri de péripéties truculentes, Vendela Vida parvient à capter au mieux les sensations propres à cet âge : un mélange d’hypersensibilité et d’indifférence blasée qu’une écriture vive, au plus près des protagonistes, permet de restituer avec une remarquable justesse.
L’humour avec lequel elle croque les situations tragi-comiques que traverse Eulabee est souvent dévastateur, comme lors de cette soirée alcoolisée où le rapprochement avec le beau gosse du quartier tourne bien involontairement au gore. Il y a quelque chose de L’Attrape-Cœurs, de J. D. Salinger (1951 ; Robert Laffont, 1953), dans la peinture de ses errances en solitaire dans un San Francisco encore de bric et de broc.
Il y a aussi du Virgin Suicides, de Jeffrey Eugenides (1993 ; Plon, 1995), dans la mise en scène d’une communauté d’habitants où tout le monde se connaît, avec ses drames : le suicide du père d’une amie, la toxicomanie de la sœur d’une autre. S’il creuse habilement la question du mensonge comme moyen ultime de se faire remarquer, Dompter les vagues porte aussi un regard délicieusement ironique sur le monde des adultes, ses hypocrisies et ses fragilités touchantes. Et offre une plongée aussi revigorante que nostalgique dans cette Californie qui fut le creuset de toutes les formes de folies.

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